(résumé)
Sacramento et New York. Ces deux villes, situées aux deux extrémités de la fédération américaine, incarnent la relation singulière de nombreux Américains à la prohibition. Généralisée avec le XVIIIe amendement, en 1919, cette politique doit être mise en œuvre dans tous les États de manière uniforme. Pourtant, dans plusieurs d’entre eux, le droit se heurte à deux comportements clairement hostiles. Pour une première catégorie d’Américains, le texte est absurde car une loi ne doit pas dicter un comportement privé. Les Scofflaws, comme on les surnomme bientôt, affichent leur mépris pour une législation qu’ils refusent d’appliquer. Pour une seconde catégorie, le dispositif juridique fournit l’occasion de s’enrichir en le violant. Avec les Bootleggers, nous découvrons des trafiquants d’alcool, parfois politiquement soutenus, qui n’hésitent pas à utiliser la violence pour protéger et développer leur commerce. En Californie comme à New York, ces deux groupes se mêlent, donnant une image étonnante de l’application du droit durant la prohibition.
(texte intégral)
Dans l’imaginaire populaire, véhiculé par ailleurs par des séries télévisées et des films, la période de la prohibition[1] se résume fréquemment à un affrontement entre policiers et trafiquants, agents de la prohibition et bootleggers. Cette présentation manichéenne ne reflète que très imparfaitement la réalité juridique et politique. L’application des textes sur la prohibition, au niveau fédéral et au niveau étatique, a bien pour conséquence la présence de deux camps rivaux, les tenants de l’ordre qui veulent l’application pleine et entière du texte et les criminels qui cherchent à s’enrichir en le violant. Cependant, il existe une troisième catégorie. Parce que le texte concerne une pratique individuelle, parce qu’il est vu comme une incursion excessive pour ne pas dire autoritaire dans la vie privée par de nombreux citoyens, une réaction inattendue se généralise dans certaines zones géographiques des États-Unis. La loi est absurde, elle est ridicule, il ne faut donc pas l’appliquer. Les partisans de cette conception que l’on va surnommer les scofflaws, littéralement les « moque-la-loi », ne sont pas des criminels. Le terme est le résultat d’un concours organisé par le Boston Tribune en 1924. Son but ? Trouver un mot pour désigner les Américains qui refusent d’appliquer la prohibition et appellent à continuer de boire[2]. Ce sont des citoyens ordinaires, parfois des responsables politiques de premier plan, qui considèrent que le texte mis en place soit est excessif par rapport au projet initial et doit donc être corrigé, soit est tout simplement attentatoire à certaines libertés et doit donc être supprimé.
Quand on examine les problématiques juridiques durant la période de la prohibition et le comportement des individus face à la loi qui interdit la production, le commerce et le transport d’alcool, on constate qu’il y a donc deux perspectives distinctes pour comprendre la résistance à la politique prohibitionniste. D’un côté, nous trouvons les bootleggers, les trafiquants d’alcool, qui s’enrichissent au détriment de la loi et qui pratiquent violence et corruption. De l’autre, apparaissent des citoyens ordinaires qui fréquentent les lieux clandestins de vente d’alcool, qui prônent publiquement le non-respect de la loi et qui donnent de la prohibition une image singulière.
Pour comprendre la place du droit à cette époque, il est donc nécessaire de prendre en compte ces deux grandes catégories. En approfondissant leur étude, on constate que leur coexistence de fait est trompeuse (I). Bien qu’il s’agisse dans les deux cas de ne pas respecter la loi, scofflaws et bootleggers constituent en réalité deux groupes opposés dans leur logique comme dans leur comportement (II).
I/ Scofflaws et Bootleggers aux États-Unis, une coexistence de fait
Nous avons choisi de nous concentrer sur deux symboles, situés aux deux extrémités des États-Unis. En effet, durant les 14 années que dure la prohibition au niveau fédéral, deux villes américaines se distinguent en ce qui concerne le rapport à l’alcool : Sacramento[3], en Californie, à l’ouest, et New York[4], dans l’État de New York, à l’est. Dans ces deux zones géographiques, on relève la coexistence des deux catégories qui nous intéressent, les scofflaws, d’une part, et les bootleggers, d’autre part. Assurément, dans les deux cas, nous avons affaire à des comportements illégaux (A). On pourrait penser qu’il s’agit de deux catégories très séparées puisque le rapport à l’ordre repose sur une toute autre logique. Cependant, en examinant plus précisément le fonctionnement de la société américaine de cette époque, on constate l’existence de liens inévitables et paradoxaux entre ces deux publics (B).
A/ Sacramento – New York : regards croisés sur des comportements illégaux
Les ouvrages ne manquent pas pour décrire la vie des Américains durant les années 1920[5]. Le rapport à l’alcool tient une place essentielle dans de nombreux livres, en raison du poids de la prohibition sur la société, des conséquences de l’application de ce texte, mais aussi et surtout d’une forme de mythologie qui est apparue avec le temps, en faisant de cette période une sorte de parenthèse avec ses codes, ses héros, ses anecdotes. À partir des deux villes que nous avons évoquées, il est possible de dresser un portrait des deux catégories d’Américains qui refusent l’application de la loi, les scofflaws et les bootleggers, aussi bien à l’est qu’à l’ouest.
1/ les Scofflaws, à l’est et à l’ouest
Le phénomène pour comparable qu’il soit fait pourtant apparaître des caractéristiques distinctes en fonction de la ville. Aux scofflaws de l’est, les New-Yorkais, amateurs de night-clubs et de cocktails, on oppose les scofflaws de l’Ouest, qui font de la consommation d’alcool une habitude de tous les jours, sans lien avec une manière de vivre liée à une classe sociale.
a/ les Scofflaws de l’est : New York, la ville des night-clubs
Au premier abord, on ne peut qu’être étonné par ce positionnement social et juridique : alors qu’une loi a été votée, au niveau fédéral, des individus décrètent qu’elle ne les concerne pas, car elle est stupide autant dans son principe que dans son application et car elle porte atteinte à leurs droits fondamentaux. Ce point de départ est essentiel. Lorsqu’on examine la ville de New York et le comportement de ses habitants durant la prohibition, on ne peut que relever la présence d’un climat général défavorable à la politique fédérale, ce qui se concrétise dans le maintien de certaines « institutions » dédiées à la consommation d’alcool.
Un simple regard sur la population new-yorkaise et sur les responsables politiques de cette ville et de cet État suffit pour comprendre l’importance des scofflaws à cet endroit précis des États-Unis.
Nous pouvons commencer par un chiffre : selon une statistique de cette époque, 65 % des habitants de la ville de New York consomment de l’alcool durant la période de la prohibition[6]. En pratique, c’est évidemment un camouflet et un constat d’échec pour une politique qui voulait interdire de manière générale la consommation d’alcool, tout en permettant quelques exceptions en matière médicale ou religieuse entre autres. Mais ce constat va aussi plus loin. Parce que la population rejette massivement la prohibition, parce qu’elle continue non seulement de vouloir boire mais aussi et surtout de vouloir financer et soutenir l’industrie de l’alcool, la logique politique locale ne peut éluder ce débat.
Traditionnellement, on oppose aux États-Unis deux partis politiques, les républicains et démocrates, en insistant sur un ensemble de valeurs, des perspectives politiques distinctes, des buts. En matière de prohibition, au moment du vote des textes fédéraux, l’amendement et le Volstead Act, on peut parler de consensus. Les principaux acteurs politiques qu’ils soient démocrates ou républicains valident cette réforme globale de la société qui est aussi soutenue par les courants religieux ou féministes. Quand on s’intéresse à la scène new-yorkaise, l’étonnement vient d’une sorte d’inversion des valeurs. On trouve bien un consensus, mais à New York il est construit sur un rejet de la loi en tout ou partie.
Les symboles ne manquent pas. Fiorello La Guardia[7] est représentant de l’État de New York au congrès. Il appartient au parti républicain. Élu en 1916 (il siège jusqu’en décembre 1919) pour East Harlem, le 14e district, il est réélu quelques années plus tard pour le 20e district. Il garde son siège du 4 mars 1923 au 3 mars 1933. C’est une personnalité majeure de New York puisqu’il deviendra maire de la ville à partir de 1934. La Guardia ne cache pas son hostilité à la prohibition. Il pense que cette politique va entraîner de manière automatique la disparition du respect pour la loi – car la loi est absurde – et des dépenses excessives au niveau fédéral.
Un autre acteur local à cette époque qui va avoir également un destin fédéral éphémère est Alfred Smith. Smith est gouverneur de New York de janvier 1919 à décembre 1920 puis de janvier 1923 à décembre 1928[8]. C’est un membre du parti démocrate. Il sera candidat à l’élection présidentielle de 1928 contre le républicain Herbert Hoover. Sa position concernant la prohibition est encore plus radicale : il considère que la politique ne doit pas être appliquée. En tant que gouverneur, il prend l’habitude d’offrir de l’alcool de manière systématique à ses invités dans la résidence officielle installée à Albany. Il s’efforce d’ailleurs à plusieurs reprises de faire passer des modifications de la législation fédérée, au niveau de l’État, pour contrecarrer la prohibition. Il parviendra d’ailleurs à ses fins à une reprise durant la période en question.
D’autres exemples s’inscrivent parfaitement dans une évolution de la mentalité américaine, de manière générale. Certains partisans de la prohibition deviennent des opposants de cette même politique en constatant ses effets et son inefficacité. C’est le cas de John Rockfeller qui bascule dans le camp des adversaires du texte, en 1932, après avoir été l’un des principaux artisans de son adoption plus de 10 ans plus tôt. Ce type de revirement ne fait que confirmer les scofflaws dans leur rejet de la politique menée.
Le constat est sévère : le refus de l’application de la loi ne concerne pas que quelques individus au sein de la population de New York. C’est un rejet massif qui a des conséquences sur la représentation politique et sur les choix politiques qui sont faits en ce qui concerne la gestion de la ville.
De manière relativement logique, le tissu économique de New York s’inscrit pleinement dans la mentalité scofflaw. Puisque les individus veulent consommer de l’alcool, il faut leur en fournir. Les night-clubs deviennent un véritable symbole de la vie new-yorkaise à cette époque.
Il faut dire que le maire de la ville entre 1926 et 1932, Jimmy Walker[9], est surnommé le night-club mayor pour sa fréquentation assidue des lieux en question, relayée largement par la presse auprès de la population.
Les clubs privés sont nombreux à New York, certains d’entre eux ayant même hérité d’une longue tradition de vente d’alcool au public en tant que saloons. L’un des exemples les plus significatifs est donné par le McSorley, le saloon le plus connu de la ville qui devient durant la période de la prohibition un lieu essentiel pour la haute société[10]. Un fait démontre cette singularité : durant 14 ans, aucune descente de police n’est effectuée dans ce qui constitue pourtant le marché le plus connu et le plus célèbre d’alcool de New York. La raison en est relativement simple : le McSorley est fréquenté par les policiers et les politiciens qui constituent l’une des parties les plus importantes de sa clientèle.
b/ les Scofflaws de l’Ouest : Sacramento la ville la plus wet des États-Unis
À l’autre bout des États-Unis, en Californie, la situation est quelque peu différente en raison d’une division majeure au sein de l’État. Alors qu’à New York l’ensemble de la population semblait pencher pour un refus de la prohibition, la Californie se scinde en une région Sud favorable à la prohibition et une région Nord totalement opposée. De nombreux facteurs expliquent cette distinction. Sacramento occupe une place à part puisqu’elle est considérée comme étant la ville la plus wet des États-Unis, c’est-à-dire la ville dans laquelle on se procure le plus facilement de l’alcool en raison de l’absence de poursuites policières réelles. Le contexte explique sans doute aussi beaucoup certaines singularités.
Sacramento se situe au nord de la Californie. Il ne s’agit pas d’un simple constat géographique. En ce qui concerne la prohibition, c’est un fait politique qu’il faut prendre en compte. Le rapport à la loi est très différent en raison de l’origine de la ville et de son positionnement à cette époque.
Historiquement, Sacramento est surnommé la cité des saloons[11]. Elle en compte de très nombreux, depuis le XIXe siècle. Elle représente la Californie viticole, la transformation industrielle de certaines régions qui a conduit à mettre en avant la production d’alcool et qui a permis d’enrichir de très nombreux habitants de l’État tout en assurant une économie florissante. La ville a résisté de manière significative à des tentatives prohibitionnistes à partir du milieu du XIXe siècle.
Au début du XXe siècle, alors que les tenants de la prohibition commencent à gagner du terrain, on constate l’existence d’une profonde différence entre les deux régions de Californie. Au sud, les protestants dominent. Les villes sont peuplées par une majorité de protestants blancs, d’origine anglo-saxonne, les WASP (White Anglo-Saxon Protestants) pour reprendre cette catégorie. Ils sont largement favorables à la prohibition qui constitue l’un des aspects à leurs yeux d’une vaste réforme sociale s’inscrivant dans une moralisation de la société, un respect grandissant pour la religion (sous-entendue protestante), une réforme globale du système social pour lutter contre la criminalité, les violences, qu’elles soient publiques ou privées, et la déchéance de l’être humain[12]. La situation est très différente au nord de la Californie. Une ville comme Sacramento est composée de très nombreux migrants, d’origine irlandaise ou juive. La référence est importante. Les Irlandais sont catholiques. Tout comme les juifs, ils utilisent de l’alcool dans les rites religieux. La mise en place d’une prohibition va donc se heurter à une conviction religieuse et conduire à l’affrontement de deux visions totalement opposées concernant le regard sur l’alcool. Un symbole est évident : la réapparition du KKK, le tristement célèbre Ku-Klux-Klan, en 1915[13]. Cette organisation, raciste, favorable à la suprématie blanche, était née en 1865, dans le Tennessee, dans le contexte de l’abolition de l’esclavage. Violemment opposé à l’égalité raciale, le clan se distinguait par des actions violentes à l’encontre de la population noire, des lynchages, des agressions et des discours qui validaient la ségrégation raciale et ses conséquences. En 1915, le clan réapparaît en Californie. Il ne s’agit en aucun cas d’une coïncidence. Il vient s’opposer tout à la fois aux étrangers et aux non-protestants. La prohibition offre une occasion parfaite pour donner une forme de légitimité aux actions violentes du clan. Les membres de la police vont ainsi adhérer à cette logique dans le but d’imposer une réforme sociale qui doit être bénéfique, avec comme arrière-pensée la protection de la population blanche, de la religion protestante et d’une certaine approche des États-Unis.
C’est donc dans ce climat que la prohibition est mise en place.
Un autre constat est important : purement géographique, il conduit à évoquer la proximité de la mer, en l’occurrence l’océan Pacifique, et ses conséquences. L’application de la prohibition sous-entend le contrôle des importations possibles pour éviter le trafic avec les pays voisins. Or, la Californie se situe sur la côte ouest, ce qui permet des échanges maritimes très faciles et quasiment incontrôlables avec le Canada[14].
Comme à New York, la position des responsables politiques coïncide en grande partie avec l’opinion publique.
On trouve ainsi des acteurs politiques fédéraux. Le sénateur Hiram Johnson[15] a été gouverneur de Californie de 1911 à 1917. Il représentera cet État à la chambre fédérale de 1917 à 1945. Au premier abord, on pourrait penser qu’il s’agit d’un partisan de la prohibition ; il a participé à sa mise en place au niveau fédéral. Pourtant, en examinant plus précisément ses réflexions et certaines de ses déclarations, on constate qu’il y a une différence majeure avec les partisans les plus extrêmes de cette politique : Johnson est favorable à la prohibition mais est totalement opposé à l’interdiction de la vente de bière et de vin. Autrement dit, la prohibition à ses yeux doit concerner les alcools les plus forts, les plus dangereux, mais en aucun cas l’ensemble des alcools. Cela fait plus qu’une simple différence avec les tenants de l’abstinence totale.
Les acteurs purement locaux sont encore plus symboliques de ce positionnement. Le commissaire des travaux publics pour Sacramento, John Q. Brown tout comme son collègue en charge de l’entretien des rues, D. W. Carmichael, se déclarent purement et simplement opposés à la prohibition et à son application à Sacramento[16]. Le candidat au poste de gouverneur en 1922, Thomas Woolwine, est district attorney pour le comté de Los Angeles. En tant que candidat démocrate au poste de gouverneur, il n’hésite pas à avancer l’idée d’autoriser les bières et le vin, reprenant ici la logique du sénateur Johnson. Ce positionnement lui vaut la condamnation du clan, en particulier, de multiples actions violentes à son encontre et une défaite au final. L’État est ici divisé en raison de la présence d’une forte proportion favorable à la prohibition, au sud.
Des acteurs moins politiques mais tout aussi importants en la matière se déclarent scofflaws sans aucune nuance. C’est le cas d’Ira Conran, chef de la police de Sacramento[17]. Selon lui, la prohibition est une politique fédérale. Ce n’est donc pas l’affaire de la police de l’État et encore moins de la police de la ville de Sacramento de la mettre en œuvre… Si les acteurs fédéraux veulent une prohibition, ils n’ont qu’à financer des structures pour la faire appliquer sur le terrain… Derrière le discours opposant États fédérés et lois fédérales, on trouve un refus pur et simple d’appliquer un texte qui est considéré comme contraire à l’opinion des habitants de la ville et à la logique aux yeux de ce chef de la police quelque peu étonnant.
Un dernier acteur est important dans la vie de Sacramento : il s’agit d’un journal, le Sacramento Bee, littéralement l’abeille de Sacramento. Le responsable de ce journal, Charles Kenny McClatchy[18], va mener une véritable campagne contre la politique de prohibition durant toute sa période d’application.
Cette campagne a un fondement : McClatchy considère que ne pas respecter le texte sur la prohibition ne constitue en aucune manière un délit ou un crime, puisque ce texte ne doit pas être appliqué. Il est attentatoire aux libertés. Il est absurde, puisque l’État fédéral ne doit en aucun cas se mêler du comportement des individus.
Durant les 14 années d’application du texte sur la prohibition, le Sacramento Bee se fait l’écho des événements qui se produisent dans la ville, en adoptant une approche volontairement biaisée. Lorsqu’il s’agit d’insister sur les échecs de la répression concernant la prohibition, sur la corruption des policiers ou sur les abus de pouvoir, les articles remplissent plusieurs colonnes. Au contraire, pour appuyer la prohibition et en défendre la logique, les journalistes demeurent étrangement silencieux. McClatchy ne cache pas sa position visant à revenir sur le texte prohibitionniste. Il va même un peu plus loin en précisant que, selon lui, le texte n’est pas démocratique puisqu’il n’a pas été adopté par une majorité à l’échelle de l’ensemble des États-Unis. En reprenant les chiffres, il pense même qu’une majorité d’Américains serait favorable à la disparition de ce texte si on les consultait directement et non pas État par État.
Les scofflaws constituent donc un groupe assez complet, qui, tout en étant hétérogène, permet de comprendre l’importance de ce courant politique au sein de la société américaine. Il ne s’agit pas simplement d’un groupe de pression qui serait financé par les brasseries ou d’une quelconque association. C’est un mouvement beaucoup plus profond qui implique dans certaines villes une majorité d’habitants, des responsables politiques, des acteurs du monde de la police, de la justice et des journalistes. Nous avons affaire à un vaste mouvement qui vient légitimer une forme de résistance à l’application de la loi pour de multiples raisons.
2/ les Bootleggers, à l’est et à l’ouest
Avec cette seconde catégorie, nous entrons dans la légende. Les multiples figures des bootleggers sont devenues des symboles aux États-Unis puisqu’il s’agit, pour la plupart d’entre eux, de chefs de gang, de criminels de grande envergure. Certains disposaient déjà d’une activité criminelle avant la prohibition. D’autres se sont enrichis durant cette période pour mieux rebondir dans d’autres trafics par la suite. Une troisième catégorie est apparue avec la prohibition et a disparu avec elle également, victime de règlements de compte ou parfois de la répression logique menée par les agents de la prohibition. Les figures de la pègre sont bien connues pour certaines d’entre elles, on pense entre autres à Al Capone, de Chicago. Les deux villes qui nous intéressent, Sacramento et New York, disposent également de leurs propres réseaux de trafiquants. On constate d’ailleurs l’existence de plusieurs gangs sur le même territoire avec pour conséquence logique des affrontements sanglants pour des prises de pouvoir.
a/ les Bootleggers de l’est
À l’est, c’est-à-dire à New York, les trafiquants d’alcool intègrent un milieu criminel existant. Les quartiers de la ville, le Bronx, Lower Manhattan, ou encore Little Italy, permettent d’identifier géographiquement les criminels en question[19].
Quelques figures sont bien connues comme entre autres Gentleman Jack, c’est-à-dire Jack Legs Diamond, un gangster d’origine irlandaise. Il est associé avec un groupe d’Américains originaires d’Italie parmi lesquels on compte Lucky Luciano ou encore Victor Genovese. Arthur Simon Flegenheimer est beaucoup plus connu sous le nom de Dutch Schultz. Juif d’origine allemande, il est le bras droit de Joey Noe qui tient un Speakeasy dans le Bronx, à ses débuts. Il va recruter Vincent Mad Dog Coll qui deviendra lui-même chef de gang[20]. New York est le théâtre d’affrontements entre ces bandes rivales pour des territoires et pour le commerce d’alcool. La violence est coutumière, les meurtres multiples. Il s’agit d’essayer de construire des alliances plus ou moins solides pour dominer le marché et s’enrichir plus facilement.
L’aspect le plus dérangeant concerne les relations politiques de ces gangs. On relève ainsi des liens évidents entre le leader de Tammany Hall, le fief des démocrates, James Hines et Lucky Luciano. De même, le prédécesseur de Hines, Charles Murphy, était proche de celui qui est connu comme étant le financier des bootleggers, Arnold Rothstein. Ce dernier est même considéré comme la cheville ouvrière de la yiddish connexion qui dispose de son propre réseau au sein même de New York.
b/ les Bootleggers de l’Ouest
De l’autre côté des États-Unis, la situation est ressemblante même si les individus sont différents.
Il y a tout d’abord un lieu essentiel, K Street, qui à lui seul illustre parfaitement les paradoxes de Sacramento[21]. Ce quartier accueille tout à la fois la brigade d’intervention des agents de la prohibition et l’un des principaux speakeasies, installé à côté d’un restaurant détenu par Ancill Hoffman. Ce dernier s’efforce de développer et de protéger son commerce. À côté, on trouve un propriétaire de brasseries, August Ruhstaller. La particularité réside dans l’ancienneté du personnage puisqu’il s’agit d’une brasserie historique de la région qui devient un point central du trafic d’alcool durant la période de la prohibition.
Sur la côte ouest, le trafic se caractérise surtout par l’approvisionnement par l’intermédiaire des Rum Runners, c’est-à-dire des bateaux qui viennent du Canada. L’un des principaux trafiquants d’alcool se trouve à Seattle, dans l’État de Washington. C’est un ancien policier, Roy Olmstead, qui est considéré comme un « bon » trafiquant en raison de son caractère relativement placide et de son refus de la violence[22]. Il sera finalement arrêté, jugé et condamné. L’ironie du sort veut qu’il reste dans l’histoire juridique américaine pour avoir donné son nom à un arrêt de la cour suprême puisque, dans le cadre de son procès, les avocats remettent en cause l’utilisation de bandes magnétiques d’enregistrement en tant que preuve. La cour suprême se prononcera sur cette question en 1928, dans l’arrêt Olmstead v. U. S.[23].
On trouve enfin un personnage plus étonnant, W. G. Welland, qui non seulement est un trafiquant d’alcool, mais aussi et surtout conserve les traces de ses clients dans un carnet qui fera le bonheur des policiers qui vont l’arrêter.
Pour comprendre le trafic d’alcool à l’ouest des États-Unis, il ne faut pas s’arrêter à cet aspect purement mafieux. Sacramento se caractérise aussi par la présence de bootleggers moins connus, que l’on pourrait presque qualifier d’amateurs. C’est ainsi le cas de Mayne Peirano, et de Margaret Mclaughlin. Dans le comté d’Amador, Mayne Peirano reste dans l’histoire de la Californie pour avoir été la première femme arrêtée et mise en prison pour possession d’alcool. La question demeure de l’importance de son commerce… Concernant Margaret McLaughlin, le doute n’est pas permis. C’est bien un vaste commerce d’alcool qui est démantelé puisque cette femme fournissait un nombre relativement considérable de speakeasies de Sacramento. Un premier raid de la police de la prohibition permet la confiscation d’une quantité assez significative d’alcool de contrebande, près de 300 l. Ce n’est d’ailleurs pas une première. Quelques semaines plus tôt, la police avait essayé de faire tomber un autre entrepôt, à côté d’un club, le Tuesday Club, au centre de Sacramento. Le raid avait échoué, la marchandise ayant été détruite avant l’arrivée des policiers. Cette cheffe de réseau un peu particulière porte d’ailleurs un autre nom, Margaret Burriss et est poursuivie pour des faits similaires. Lorsqu’elle est arrêtée, elle affirme que son commerce a d’abord pour but d’aider financièrement ses enfants…
B/ des liens inévitables et paradoxaux
Nous avons affaire à deux groupes apparemment distincts. D’un côté, nous trouvons une partie de la population qui rejette l’application de la loi et qui souhaite consommer de l’alcool. De l’autre, des trafiquants utilisent l’interdiction pour s’enrichir en vendant ce même alcool. Il paraît logique que les deux groupes soient liés, ne serait-ce que pour des raisons purement circonstancielles. Les liens sont nécessaires en raison de la consommation et de l’approvisionnement. Toute la question réside dans le caractère inévitable des relations et dans les conséquences de telles relations.
1/ une question de consommation et d’approvisionnement
Bien qu’il se trouve une catégorie dénommée scofflaws à New York comme à Sacramento, les problématiques sont légèrement différentes en ce qui concerne la consommation et l’approvisionnement. Dans les deux cas, pourtant, il existe un lien nécessaire entre les scofflaws qui veulent continuer de consommer de l’alcool et les bootleggers.
a/ New York
Proclamer son hostilité à la prohibition est une position politique. En tirer les conséquences soulève nécessairement la question de violer la loi et donc les conditions de production et de commerce.
Certains responsables politiques parmi les plus influents à New York ont parfaitement conscience de cette singularité. La Guardia plaide pour la fin de la prohibition tout en sachant parfaitement que le texte a des conséquences majeures en matière de délits et de crimes. Comment passer outre ? Pourquoi ne pas prouver que la production personnelle est très facile, ce qui discréditerait l’idée même de prohibition ? C’est ce que le représentant de New York n’hésite pas à faire en public, en ayant même invité des journalistes, en 1926. La scène se déroule dans le bureau du Capitole que La Guardia occupe. Le représentant de New York montre comment on peut aisément fabriquer de l’alcool, relativement proche de la bière en termes de goût et de dosage, avec des éléments aisément acquis dans le commerce[24]. Il va ainsi produire devant les journalistes une douzaine d’échantillons de boissons alcooliques, comparables à la bière, Pilsener, Wurtzberger, que les journalistes qualifient de délicieuses, de splendides ou d’assez proches de la bière antérieure à la prohibition. Cette bière acceptable – un degré d’alcool entre deux et trois – est facilement produite alors qu’il s’agit d’une violation de la loi, ce qui conduit La Guardia à plaider pour une modification du texte afin de permettre la vente de bière à faible degré d’alcool[25]. Alors qu’il est menacé de poursuites judiciaires par la ligue anti saloon, La Guardia récidive dans son propre district devant le drugstore de Léo Kaufman. Un agent de la prohibition arrive et finalement repart, sans avoir inquiété La Guardia. Pour le représentant, c’est aussi un moyen de prendre à témoin l’opinion publique pour lutter contre la logique des dry et la relative absurdité de la prohibition.
D’une manière plus générale, comment se procure-t-on de l’alcool à New York, durant la période de la prohibition ? Nous ne parlons pas ici des trafiquants d’alcool, des entrepôts, des distilleries clandestines. Nous évoquons au contraire les lieux de consommation régulière ou les lieux de vente qui permettent à tout un chacun d’acquérir un peu d’alcool. La consommation régulière implique un achat relativement facile et une pratique routinière. Les New-Yorkais peuvent ainsi se rendre dans des boutiques de quartier, qui se trouvent à côté des quartiers résidentiels, rencontrer des trafiquants locaux qui se sont spécialisés dans la fourniture d’alcool de voisinage. Des petits stocks d’alcool sont présents dans les boutiques, pour répondre ainsi à ces besoins[26]. Le commerce en la matière acquiert un aspect relativement commun, répandu, lorsqu’il ne conduit pas à une livraison à domicile ou à des échantillons gratuits. Ceci a un effet très dangereux. Les scofflaws peuvent se procurer aisément de l’alcool de contrebande, en fermant les yeux sur l’origine de la marchandise et sur ce qu’implique le commerce en question. De fait, ils oublient les crimes éventuels, les trafics et les conséquences, l’organisation du crime pour ne voir dans la consommation d’alcool et dans l’achat quotidien qu’une routine sans danger.
b/ Sacramento
La situation est-elle très différente à Sacramento ?
Dans cette ville de Californie, la consommation d’alcool prend deux formes distinctes, à titre principal. D’un côté, on trouve ce que les locaux appellent des social clubs, une dizaine reconnue par le droit californien, qui accueillent des membres à l’intérieur de cercles fermés. Le principe est simple, l’appartenance au club est reconnue par une carte de membre, qui donne accès à l’intérieur du bâtiment. Ceci a un effet sur la consommation d’alcool qui peut être fait de manière privée. Mais il y a un autre effet : les raids sont beaucoup plus compliqués à organiser puisqu’il faut obtenir un mandat pour entrer dans le club. De l’autre, on relève la présence de multiples fêtes privées qui se déroulent dans les maisons des personnes. Assurément, la célébration d’un jour particulier, dans l’année, multiplie le nombre de fêtes. Lors de la soirée du nouvel an de 1923, une enquête journalistique montre un très haut niveau de vente d’alcool dans toute la ville[27]. Les fêtes ont lieu à l’intérieur du domicile, ce qui protège là aussi de l’intervention des policiers de la prohibition.
Du point de vue de l’opinion publique, la ville de Sacramento se taille aussi une réputation singulière dans les années 1920. Parce qu’il est très facile de se procurer de l’alcool, beaucoup plus qu’à Los Angeles, la ville attire le monde du cinéma, en particulier. De très nombreux films sont réalisés dans cette ville avec un soutien évident de la part de la municipalité. La circulation relativement libre de l’alcool explique pourtant beaucoup plus la facilité pour organiser des films sur place qu’une quelconque amélioration de l’accueil des équipes au niveau du public.
2/ des relations inévitables
Cette seconde question est plus complexe. L’existence de ces deux catégories n’implique-t-elle pas, de manière quasi automatique, la mise en place de relations, pour ne pas dire une certaine proximité entre les acteurs des deux camps ? Un examen du fonctionnement des deux villes permet de comprendre que des liens se nouent d’abord par l’intermédiaire des responsables politiques qui choisissent le camp des bootleggers, ensuite dans un cadre un peu singulier, le club privé.
a/ la question politique
On assiste en réalité à la rencontre de deux perspectives distinctes.
D’un côté, certains politiciens veulent utiliser les scofflaws et la lutte contre la prohibition pour augmenter leur électorat. Ce premier pas n’est pas en lui-même significatif. Cependant, en s’affichant de la sorte, les responsables politiques attirent aussi l’attention des bootleggers. En refusant la prohibition, ces mêmes responsables ne refusent pas seulement d’appliquer les textes qui interdisent la vente ou le transport. Ils remettent aussi en cause la poursuite des individus qui se livrent à cette vente et à ce transport. Autrement dit, une relation naturelle est possible entre les politiciens et les bootleggers puisque les deux parties peuvent trouver un intérêt dans une collaboration.
De l’autre, des bootleggers utilisent justement les opposants à la prohibition pour faciliter leur commerce et se protéger. Il s’agit de financer les campagnes électorales, de faciliter l’accession au pouvoir de personnalités proches des milieux mafieux ou même parfois d’essayer de faire élire des membres de gangs.
Ceci explique sans doute la présence de figures quelque peu controversées. Nous avons déjà rencontré Jimmy Walker, le maire de New York, qui s’est fait connaître en raison de sa passion pour les night-clubs. Mais Walker est aussi un proche des bootleggers qu’il considère comme des commerçants, d’une part, mais également comme des partenaires potentiels, d’autre part.
Dans la même logique, les deux patrons successifs du parti démocrate de New York, Murphy et Hines, voient dans les trafiquants d’alcool un groupe de pression utile, un moyen de financer des campagnes et un soutien potentiel au sein même de la population[28].
b/ les clubs privés
Considérés comme des symboles durant la période de la prohibition, les clubs privés accueillent les scofflaws pour fournir à la partie la plus aisée de la société à l’accès à l’alcool, un lieu de détente évidemment opposé à la politique en place. Cependant, derrière la fourniture de l’alcool, ces endroits constituent aussi un lien évident entre le non-respect de la loi pour des raisons personnelles et l’activité criminelle qui permet de fournir l’alcool. Il suffit de citer quelques exemples de clubs privés pour comprendre la fragilité de la frontière qui sépare les scofflaws des bootleggers à ce moment précis de l’histoire américaine[29].
Dans la première catégorie de clubs, nous trouvons des institutions possédées par des personnalités du showbiz ou du sport, les propriétaires n’étant pas des bootleggers. Dans ce cas, l’utilisation de l’alcool conduit à des contrats passés avec les trafiquants mais ne relie pas directement le club à une personnalité criminelle. Les exemples sont nombreux. On peut citer un ancien champion de polo, René La Montagne, qui utilise le Park Avenue Racquet and Tennis Club pour vendre de l’alcool aux participants. L’exemple le plus significatif est fourni par Earl Carroll, metteur en scène de Broadway, qui est célèbre pour ses fêtes à l’issue des représentations théâtrales[30]. Carroll n’est pas un bootlegger. Il se fournit en alcool, principalement en champagne, pour organiser les faits en question. Lors de son audition devant le grand jury fédéral à Manhattan, il refuse de nommer son fournisseur.
La réalité est toute autre lorsque le club privé appartient un bootlegger. Rendu célèbre par le cinéma, le Cotton club appartient à cette catégorie. Situé au 644 de l’avenue Lexington, ce club est considéré comme l’un des plus célèbres d’Harlem. Il est la propriété de gangsters identifiés, comme Owney Maden. À côté d’attractions réservées aux blancs (le paradoxe voulant que de nombreux intervenants soient noirs), le club fournit des alcools divers à une clientèle particulièrement étendue. La présence de gangsters à la tête des établissements explique aussi la violence qui peut en découler. Sur la 57e, le Blossom Health Club est ainsi le théâtre d’une véritable guerre de gangs pour fixer le réseau qui approvisionnera en alcool les soirées privées. On ne compte plus les membres de la pègre abattus dans des clubs et même les clubs détruits par des explosions. C’est le cas du Plantation Club à Harlem. Certains de ces affrontements sont restés dans la légende comme celui du Hotsy-Totsy club, situé sur Broadway[31]. Propriété du gangster Hymie Cohen, ce club est secoué par l’assassinat de son patron et d’un de ses associés, devant 25 personnes et au son d’une musique de ragtime, pour couvrir les coups de feu…
II/ l’affrontement de deux logiques
Le constat ne doit pas cacher une différence de taille : scofflaws et bootleggers coexistent dans la société de la prohibition ; cela ne signifie en aucun cas qu’ils partagent des visions politiques et juridiques communes. Au contraire, en examinant les positions des deux camps, on relève la présence de deux rapports totalement opposés à la loi existante et de deux buts, également opposés concernant l’avenir du dispositif législatif.
A/ deux rapports à la loi
Nous trouvons ici l’un des aspects les plus significatifs de la différence entre scofflaws et bootleggers : tandis que les premiers refusent la loi – pour une série d’arguments – les seconds s’en accommodent car ils veulent justement s’enrichir à ses dépens.
1/ les Scofflaws et le refus de la loi
Le mot construit pour désigner les Américains hostiles à la prohibition est trompeur. De fait, le terme scofflaws que l’on peut traduire littéralement par moque-la-loi conduit à insister sur un manque de respect, teinté de légèreté ou d’ironie. On se moque de la loi parce qu’on ne veut pas l’appliquer. La réalité est pourtant beaucoup plus profonde lorsqu’on examine les arguments qui sont utilisés dans le cadre d’un débat plus large sur la prohibition. Car il ne faut pas écarter un aspect majeur : les scofflaws sont d’abord et avant tout des opposants politiques à la prohibition. On trouve ainsi deux grandes séries d’arguments qui sont avancés par les détracteurs du texte.
a/ les arguments libéraux
Dans une première série de discours, des scofflaws insistent sur les dangers de la loi sur la prohibition, qu’il s’agisse de l’amendement constitutionnel ou de la loi fédérale, en ce qui concerne les libertés individuelles et la liberté religieuse.
L’atteinte aux libertés individuelles est le principal argument de certains des scofflaws les plus symboliques. La Guardia met en avant les dangers d’une législation qui chercherait à dicter à un individu sa conduite. Sur la question de la consommation d’alcool, c’est une atteinte à la liberté de choix de ce même individu. Dès 1923, Nicholas Murray Butler[32], président de l’université de Columbia, et par ailleurs républicain convaincu, multiplie les discours contre la prohibition en insistant sur ce même aspect. Il précise même lors d’une interview : « nous semblons oubliés que le gouvernement est le serviteur du peuple et non son maître »[33]. Pour lui, une telle politique menée au niveau fédéral est tout simplement synonyme de tentative absolutiste à l’encontre des individus. Des dangers similaires sont dénoncés par Whidden Graham, un auteur new-yorkais, rendu célèbre par une attaque violente contre la prohibition publiée en 1917[34], c’est-à-dire avant sa mise en place au niveau fédéral. Graham qualifie l’amendement de trahison et de tricherie. Il s’agit d’appliquer à une grande majorité d’individus qui consomment de l’alcool de manière limitée les conceptions étroites d’une minorité fanatique… Aux yeux de ces différents scofflaws politiques, la logique prohibitionniste porte tout simplement atteinte à la structure même du système américain, à sa démocratie, en privant une grande partie de la population d’une liberté qui devrait être naturelle. Les arguments sanitaires sont écartés d’un revers de main parce qu’ils ne sont ni crédibles, ni étayés scientifiquement. Quant aux arguments sociaux, ces mêmes scofflaws insistent sur les aspects hypocrites du discours, sur le danger d’imposer une vision morale à une société, sans lien avec les membres de cette même société.
Ceci conduit à la seconde argumentation qui concerne cette fois la liberté religieuse. Dans les discours de La Guardia, la prohibition a aussi une autre résonance : pour des raisons de pratique religieuse, interdire l’alcool conduit à mener une guerre contre certaines religions qui impliquent une consommation modérée de cette même substance. C’est le cas en particulier des catholiques et des juifs. La Guardia va plus loin en faisant un parallèle entre les partisans de la prohibition – qui sont des protestants qui refusent la consommation d’alcool – et un discours caché, teinté de xénophobie. En 1927, un administrateur de la prohibition, Chester Mills, n’hésite pas à ordonner aux églises et aux synagogues de fournir un registre des noms et adresses de tous leurs membres pour identifier ainsi les consommateurs d’alcool en matière religieuse[35]… La Guardia est encore plus critique à l’encontre du secrétaire adjoint au Trésor, Lincoln Andrews, qui dénonce les faiblesses de l’organisation hiérarchique de la religion juive au regard de la surconsommation d’alcool à New York au nom justement de cette même religion… La situation est encore plus visible de l’autre côté des États-Unis. Sur la côte ouest, Sacramento offre un exemple presque effrayant de la confusion des deux mouvements, prohibitionniste et xénophobe. L’adhésion du Ku-Klux-Klan à la prohibition se fait au nom de la lutte pour les vrais Américains – sous-entendus blancs, protestants, anglo-saxons – contre les immigrés venus d’Irlande (catholiques), contre les juifs et contre les asiatiques…
b/ les arguments financiers et sociaux
Les arguments financiers et sociaux avancés par les scofflaws illustrent la profondeur des raisonnements, mettant en exergue l’existence d’une véritable rhétorique en la matière.
Nous pouvons commencer par la question financière. Pour les scofflaws, la prohibition est d’autant plus catastrophique dans ses conséquences sur les États-Unis qu’elle a des effets financiers majeurs. D’une part, les autorités publiques subissent de plein fouet les pertes fiscales engendrées par l’interdiction de vente et de transport. Liée au commerce de l’alcool, la fiscalité fédérale et fédérée est nécessairement touchée par l’interdiction appliquée globalement. D’autre part, la mise en œuvre de cette politique a un coût. Il ne peut être compensé par une rentrée fiscale. Il est singulièrement lourd au regard de l’importance du trafic. Aux yeux des scofflaws, cet argent est purement et simplement gaspillé. Pour prendre un exemple précis, la ville de Sacramento se retrouve avec un déficit de plus de 100 000 $, en raison de l’application de la seule loi sur la prohibition en temps de guerre. La solution trouvée – faire porter une taxe semblable sur la consommation d’eau pour compenser la perte financière – ferait presque sourire. Les aléas économiques de la fin des années 1920 ne rendent qu’encore plus pertinents les arguments avancés. Avec la crise économique, le commerce de l’alcool peut devenir une source d’emploi. La taxation de ce même alcool peut aider le gouvernement fédéral comme les gouvernements des États pour intervenir en matière économique. Un effet presque immédiat de la crise fait d’ailleurs apparaître une autre singularité à New York. Face à la violence sociale qui résulte de cette situation, les speakeasies deviennent les premiers pourvoyeurs d’emploi, en raison de leur maintien…
Les arguments sociaux sont presque plus nombreux. D’abord, la tentative pour appliquer une loi stupide – le qualificatif est évidemment donné par les scofflaws – ne fait que diminuer le respect pour l’autorité et pour la loi aux États-Unis. Ensuite, la concentration du débat sur la prohibition, la multiplication des tentatives politiques et politiciennes pour appliquer le texte, tout comme les discussions sur les meilleurs moyens pour mettre en œuvre cette logique permettent d’écarter de l’arène politique les véritables sujets : la pauvreté, la santé, le chômage. Pour certains scofflaws, il convient aussi de dénoncer l’application à géométrie variable du texte. De fait, les pauvres sont les plus touchés. Ils n’ont plus les moyens de s’acheter de l’alcool de contrebande. Ils doivent se tourner vers des alcools de piètre qualité, ce qui multiplie les empoisonnements. Les plus riches au contraire peuvent continuer de consommer de manière relativement aisée. Plus grave encore, les petits trafiquants sont poursuivis tandis que les gros échappent à la justice, faute de preuves, grâce à la corruption ou grâce à la violence et à la disparition des témoins. Certaines affaires apparaissent comme de véritables symboles. En 1931, durant une nuit d’été, Vincent Mad Dog Coll et plusieurs de ses associés essaient d’abattre un rival dans la 107e Rue sans tenir compte de la présence de nombreux enfants. Les gangsters utilisent revolvers et mitrailleuses. Le résultat ? Le rival, Joey Rao, est indemne mais un enfant de cinq ans est tué, quatre de ses camarades sont gravement blessés… Coll est arrêté, jugé et acquitté… La guerre avec Schultz s’achève avec l’assassinat de Coll.
Le constat est d’ailleurs sévère en matière de violence : les poursuites pour assassinat ou tentative d’assassinat passent de 712 en 1921 à 1500 en 1931. Le plus grave semble être l’utilisation systématique de la violence, en réponse à des faits parfois anodins.
2/ les bootleggers et le commerce illégal
De l’autre côté, la situation est évidemment totalement différente. Le regard posé sur la loi concerne beaucoup plus les conséquences de ce texte sur la consommation et sur l’enrichissement potentiel qu’une remise en cause de sa logique. Aux yeux des bootleggers, les différentes lois sur la prohibition fournissent l’occasion de s’enrichir, en ajoutant, au titre des méthodes employées, violence et corruption.
B/ deux buts opposés
C’est sans doute sur cette question que les différences les plus flagrantes apparaissent entre Scofflaws et bootleggers. Les premiers veulent la fin de la prohibition. Les seconds ne font pas que s’en accommoder : ils en profitent !
1/ les Scofflaws et la fin de la prohibition
Lorsqu’on examine les interventions et les discours des principaux porte-parole des Scofflaws, on constate qu’ils ne souhaitent pas le maintien durable de cette situation. À cet égard, ils poursuivent même deux buts distincts : d’abord, supprimer la loi ; ensuite, restaurer l’ordre en redonnant à la légalité sa juste place.
a/ un but : supprimer la loi
De quelle loi parle-t-on ? C’est la première question à poser. En effet, face à la prohibition, il convient de s’interroger sur le niveau qui doit être privilégié. Faut-il remettre en cause la loi fédérale ? Faut-il remettre en cause les lois à l’intérieur des États ? Les deux angles sont choisis par les opposants.
Dans une première logique, les Scofflaws s’efforcent de remettre en cause l’application de la loi au niveau local. Nous avons vu qu’ils contestaient l’idée d’appliquer la prohibition fédérale au niveau des États. Ils vont donc tout faire pour en limiter les conséquences. En 1922, Smith est élu gouverneur de l’État de New York. Immédiatement, il souhaite la légalisation du vin et de la bière. Il fait donc adopter un texte pour revenir sur la loi Mullan-Gage, qui prévoyait la prohibition étatique[36]. En 1926, il va un peu plus loin en organisant un référendum sur la prohibition pour modifier le Volstead Act. Il ne s’agit pas d’une attitude isolée puisque des référendums identiques se tiennent dans le Wisconsin, en Illinois, dans le Montana et au Nevada. De l’autre côté des États-Unis, des initiatives du même genre apparaissent. Avant même la mise en place de la prohibition, une tentative législative avait été initiée au sein du congrès de Californie pour la mise en place d’un texte autorisant la vente de la bière et du vin, tout en interdisant les liqueurs distillées et les saloons. L’échec de ce texte est en grande partie dû à la pression des partisans de la prohibition intégrale. Quelques mois plus tard, après l’adoption de l’amendement sur la prohibition par le congrès de Californie, une loi étatique, la loi Harris, est mise en place pour créer un équivalent fédéré en matière de prohibition. En retour, les adversaires du texte et de la politique mettent en place un référendum contre la loi de l’État. C’est une victoire pour les wets par 465 000 voix contre 400 000. Il faut attendre 1922 pour que le congrès de Californie vote une nouvelle loi étatique en la matière.
Mais ceci reste clairement insuffisant. Le but des Scofflaws est d’abolir la prohibition au niveau fédéral. Durant les années 1920, des tentatives sont déjà lancées. Le rédacteur en chef du Sacramento Bee, McClatchy, souligne ce qui pour lui constitue une faille majeure dans le texte, l’absence d’adhésion d’une véritable majorité d’Américains. Il faut revenir sur ce texte car il n’a pas été voulu… Ce n’est pourtant qu’au début des années 1930 que la transformation la plus radicale se produit. À partir de 1932, dans un cadre plus général qui correspond tout à la fois à la lutte contre la crise économique et à l’élection annoncée de Franklin Roosevelt, les Scofflaws de Californie anticipent déjà la transformation en cours. En novembre 1932, le congrès revient sur la loi étatique, the Wright Act, qui encadrait la prohibition. Il ne s’agit pas d’une véritable révolution dans ce commerce puisque de nombreuses restrictions sont mises en place en ce qui concerne la vente d’alcool. Pour autant, c’est la réapparition des licences…
Les derniers mois sont synonymes de confusion puisque, du point de vue fédéral, la situation reste inchangée, en attente de ratification du XXIe amendement. Au niveau étatique, en Californie par exemple, la loi évoque l’existence de licences pour vendre de l’alcool, ce qui est pour le moment toujours interdit au niveau fédéral…
b/ un but social : le retour à l’ordre
Le but des Scofflaws dépasse la seule prohibition de l’alcool. Il faut restaurer l’ordre. Il faut surtout restaurer la légalité.
D’une part, ceci passe par la fin de certaines pratiques directement issues de la prohibition. Les Scofflaws ne cessent de critiquer les incompréhensions entre les tenants de l’ordre qui voulaient mettre fin aux différents trafics mais ne parvenaient pas à s’unir. Pour les opposants au texte, il faut aussi mettre fin aux abus de pouvoir qui caractérisaient trop souvent l’action des agents de la prohibition. Enfin, et l’aspect est tout aussi important, il est indispensable de sortir de l’hypocrisie. Les Scofflaws sont très sévères à l’encontre de la commission Wickersham qui a été chargée par le président Hoover de tirer un bilan de la prohibition[37]. Le texte est tellement confus qu’il permet des interprétations totalement opposées, allant d’un échec total de la politique jusqu’à un succès…
D’autre part, le rétablissement de l’ordre passe par une véritable lutte contre les bootleggers. Il ne s’agit pas seulement de vendre de nouveau de l’alcool. Il s’agit aussi de poursuivre les criminels qui ont profité de cette situation pour s’enrichir et surtout pour commettre des actes qui auraient dû les conduire en prison. L’une des premières décisions symboliques prises par la Californie au moment de la réouverture des marchés de l’alcool concerne justement les speakeasies. Les propriétaires de ces structures se voient interdire la vente d’alcool à l’avenir… De la même manière, il faut systématiquement poursuivre les gangsters qui ont utilisé cette période à leur profit.
2/ les bootleggers et le maintien de la prohibition
La logique est exactement opposée en ce qui concerne les bootleggers. Ceux-ci souhaitent le maintien de la loi car elle leur permet de réaliser des profits. Ils souhaitent aussi continuer de gagner des parts de marché.
a/ un but général : le maintien de la loi au niveau local et au niveau fédéral
Lorsqu’on examine la procédure qui a conduit à l’adoption du XXIe amendement, on constate la présence d’une anomalie au regard des autres procédures de révision de la constitution américaine. Les membres du congrès ont choisi une méthode de ratification inattendue. Il s’agit d’un véritable symbole en ce qui concerne la société de cette époque et son rapport au monde politique.
Le texte du XXIe amendement est rédigé de manière relativement confuse. Il repose sur deux principes : d’une part, la disparition de la prohibition au niveau fédéral ; d’autre part, le maintien des législations étatiques en la matière. Le but est de renvoyer la compétence au niveau fédéré. On pourrait donc penser que le dispositif serait accepté assez facilement au niveau des États.
Cependant, au moment de choisir les modalités de la ratification, les membres du congrès américain optent pour un système inédit depuis la mise en place du texte constitutionnel. La constitution prévoit deux possibilités pour ratifier une révision : soit le vote de l’organe législatif de chaque État, soit la réunion d’une convention spéciale pour discuter de la révision et la ratifier. Dans l’histoire des révisions américaines, la quasi-totalité des révisions ont été faites en utilisant la première possibilité. Une exception : le XXIe amendement, en 1933. Comment l’expliquer ? Par une vision malheureusement cynique des choses. Les membres du congrès sont convaincus de l’existence d’un danger au niveau des États. La population est favorable à un retour sur la prohibition fédérale, retour d’autant plus aisé que la prohibition étatique demeure possible. Cependant, le poids des trafiquants d’alcool est tel au niveau des États qu’il fait craindre de vastes opérations de corruption pour empêcher la ratification de la révision. Les membres du congrès fédéral n’ont pas confiance dans les responsables des congrès fédérés qui peuvent être corrompus. C’est sans doute le résultat des multiples affaires qui ont émaillé les années 1920 aux États-Unis. De nombreuses élections ont ainsi vu des candidats soutenus par la pègre s’opposer. Comment ne pas imaginer que ces mêmes trafiquants veuillent justement intervenir dans un scrutin qui mettrait fin à leur commerce, de fait ?
Jusque-là, lorsque des élections locales avaient pour enjeu la prohibition ou sa mise en place, les trafiquants soutenaient systématiquement les personnes favorables au trafic d’alcool, c’est-à-dire à une application moindre de la prohibition, mais en aucun cas les candidats favorables à une suppression totale de cette même prohibition…
b/ un but financier : gagner des parts de marché
Car nous avons bien affaire à un commerce. Les bootleggers ont un but : s’enrichir. Pour cela, il faut que la prohibition soit en place et, que, dans le même temps, ils en profitent en développant leurs organisations au niveau criminel.
D’abord, on constate une compétition entre les organisations criminelles dans les différents États et dans les principales villes. New York est un symbole en la matière. Le trafic d’alcool vient principalement du Canada. Il conduit à la division de la ville en plusieurs secteurs et à des guerres parfois internes, parfois entre secteurs. Les multiples bootleggers se livrent à des violences systématiques pour abattre des concurrents et s’emparer des marchés. New York est d’ailleurs divisé en fonction de ses quartiers.
Ensuite, la question est directement posée d’une organisation plus globale du système mafieux. Avec les années 1920, interviennent aussi des négociations entre des organisations criminelles pour constituer des réseaux plus structurés, coordonnés, au niveau américain. La prohibition laisse cette trace supplémentaire dans l’histoire des États-Unis puisqu’elle est l’occasion d’un véritable développement de structures criminelles sur le territoire à partir d’un certain nombre d’accords, plus ou moins respectés par la suite.
En conclusion, on ne peut que s’étonner de ce rapport au droit parfois déformé à cette époque.
D’une part, l’application pratique de la prohibition a eu un résultat opposé avec le développement d’une consommation supérieure à la période précédente, la mise en place de réseaux mafieux d’approvisionnement et la déstabilisation de la société américaine, alors que le mouvement initial avait des desseins exactement contraires.
D’autre part, le rapport à la loi de chaque individu est clairement mis en tension par des législations de ce type. En interdisant le commerce et le transport, tout en restant très évasifs sur la consommation, les législateurs fédéraux ont cru pouvoir transformer la société. Cette transformation a bien eu lieu. Elle a conduit à questionner la légitimité du texte, à remettre en cause l’adhésion des individus à un modèle politique, tout en aboutissant à un échec au regard des résultats initialement escomptés.
Enfin, la violation de la loi trouve ici deux visages totalement contradictoires. D’un côté, les Scofflaws refusent d’appliquer une loi qui leur paraît en elle-même attentatoire aux libertés individuelles et qui, par sa logique même, remet en cause l’ordre et la relation que l’on doit avoir au droit. De l’autre, les bootleggers utilisent justement le caractère illégal d’une activité et son corollaire à cette époque – la volonté des Américains de continuer de boire – pour développer un marché d’autant plus rentable qu’il est clandestin.
Les enseignements de la prohibition en matière juridique sont par conséquent inattendus. Cette politique nous invite à réfléchir sur ce qui fonde le respect de la loi, sur les dangers d’utiliser l’instrument juridique dans un but moral et dans une logique qui ne lui correspond pas et, plus généralement, sur les relations entre une société et son droit, le droit étant tout à la fois le reflet de cette société et le moyen de l’encadrer sans pour autant devenir un carcan qui contraindrait l’individu à agir contre ses propres vœux.
[1] J. Anne Funderburg, Bootleggers and Beer Barons of the Prohibition Era, McFarland, 2014, 432 p.; W. J. Rorabaugh, Prohibition: A Concise History, Oxford University Press, 2018, 133 p.
[2] On peut consulter https://www.bostonglobe.com/ideas/2014/08/09/scofflaw-spigot-bigot-the-word-contests-prohibition/dmEKG0aKbMw7sCmk1REOoK/story.html consulté le 1er octobre 2019
[3] Annette Kassis, Prohibition in Sacramento: Moralizers & Bootleggers in the Wettest City in the Nation, Arcadia Publishing, 2014, 160 p.; Gilman Marston Ostrander, The Prohibition Movement in California: 1848-1933, University of California Press, 1957, 241 p.
[4] Ellen NicKenzie Lawson, Smugglers, Bootleggers, and Scofflaws: Prohibition and New York City, SUNY Press, 2013, 174 p.; Michael A. Lerner, Dry Manhattan: Prohibition in New York City, Harvard University Press, 2009, 360 p.; Jacqueline Singer, Prohibition on the Gold Coast of Long Island, AuthorHouse, 2016, 130 p.
[5] Edward Behr, Prohibition: Thirteen Years That Changed America, Skyhorse, 2011 (1996), 288 p. ; Karen Blumenthal, Bootleg: Murder, Moonshine, and the Lawless Years of Prohibition, Roaring Brook Press, 2011, 160 p.; Norman H. Clark, Deliver Us from Evil: An Interpretation of American Prohibition, Norton, 1976, 246 p.; Arnaud Coutant, Prohibition(s), Mare et Martin, 2018, 230 p.; John Kobler, Ardent Spirits: The Rise And Fall Of Prohibition, Da Capo Press, 1993 (1973), 386 p.; Lisa McGirr, The War on Alcohol: Prohibition and the Rise of the American State, Norton & Company, 2015, 384 p.; Daniel Okrent, Last Call: The Rise and Fall of Prohibition, Simon and Schuster, 2010, 480 p.; Garrett Peck, The Prohibition Hangover: Alcohol in America from Demon Rum to Cult Cabernet, Rutgers University Press, 2009, 336 p.; Thomas R. Pegram, Battling demon rum: the struggle for a dry America, 1800-1933, Ivan R. Dee, 1998, 207 p.; Louise Chipley Slavicek, The Prohibition Era, Infobase Publishing, 2009, 127 p.
[6] Lerner, Dry Manhattan, op. cit., p. 227.
[7] Ronald H. Bayor, Fiorello La Guardia: Ethnicity, Reform, and Urban, John Wiley & Sons, 2017, 224 p.; Thomas Kessner, Fiorello H. La Guardia and the Making of Modern New York, Penguin Books, 1991, 700 p.
[8] Paula Eldot, Governor Alfred E. Smith: The Politician As Reformer, Garland Publishing, Incorporated, 1983, 482 p.; Lerner, Dry Manhattan, op. cit., p. 227.
[9] George Walsh, Gentleman Jimmy Walker: Mayor of the Jazz Age, Praeger Publishers, 1974, 362 p.
[10] Christopher Mulvey, John Simons, New York: City as Text, Springer, 1990, 196 p.; p. 54; NicKenzie Lawson, Smugglers, Bootleggers…, op. cit., p. 78.
[11] Kassis, Prohibition in Sacramento, op. cit., p. 15.
[12] Kassis, Prohibition in Sacramento, op. cit., p. 23.
[13] Nancy MacLean, Behind the Mask of Chivalry: The Making of the Second Ku Klux Klan, Oxford University Press, 1995, 292 p.
[14] J. Anne Funderburg, Rumrunners: Liquor Smugglers on America’s Coasts, 1920-1933, McFarland, 2016, 208 p.; Rich Mole, Rum-runners and Renegades: Whisky Wars of the Pacific Northwest, 1917-2012, Heritage House Publishing Co, 2013, 144 p.
[15] Sean Beienburg, Prohibition, the Constitution, and States’ Rights, University of Chicago Press, 2019, 320 p.; p. 66.
[16] Kassis, Prohibition, op. cit., p. 54.
[17] William Burg, Wicked Sacramento, Arcadia Publishing, 2019, 144 p.; p. 51.
[18] Bernard A Shepard, C.K. McClatchy and the Sacramento Bee, 1883-1936., these dissertation, Syracuse University, Ann Arbor, Mich., 1961, 323 p.; Annette Kassis, Sacramento on the Air: How the McClatchy Family Revolutionized West Coast Broadcasting, Arcadia Publishing, 2015, 160 p.
[19] NicKenzie Lawson, Smugglers…, op. cit., p. 59 et suiv. ; Lerner, Dry Manhattan, op. cit., p. 261; Funderburg, Bootleggers and…, op. cit.
[20] Breandán Delap, Rich Gold, Mad Dog Coll: An Irish Gangster, Huntington Press, 2016, 256 p.
[21] William Burg, Sacramento’s K Street: Where Our City Was Born, Arcadia Publishing, 2012, 160 p.
[22] Brad Holden, Seattle Prohibition: Bootleggers, Rumrunners & Graft in the Queen City, Arcadia Publishing, 2019, 128 p.
[23] Olmstead v. United States, 277 U.S. 438 (1928)
[24] Kessner, Fiorello H. La Guardia…, op. cit., p. 113.
[25] Lerner, Dry Manhattan, op. cit., p. 236-237.
[26] Lerner, Dry Manhattan, op. cit., p. 262.
[27] Kassis, Prohibition…, op. cit., p. 95.
[28] Lerner, Dry Manhattan, op. cit., p. 262.
[29] Nickenzie Lawson, Smugglers, op. cit., p. 75 et suiv.
[30] Nathan Hurwitz, A History of the American Musical Theatre: No Business Like It, Routledge, 2014, 260 p.
[31] Lerner, Dry Manhattan, op. cit., p. 256; Marc Mappen, Prohibition Gangsters: The Rise and Fall of a Bad Generation, Rutgers University Press, 2013, 256 p.; p. 60.
[32] Lerner, Dry Manhattan, op. cit., p. 234; Deborah Blum, The Poisoner’s Handbook: Murder and the Birth of Forensic Medicine in Jazz Age New York, Penguin, 2011, 336 p.; p. 156.
[33] Prohibition is Now a Moral Issue: Abstract of an Address at the Annual Dinner of the Missouri Society at the Hotel Plaza, New York, April 29, 1924.
[34] The Anti-prohibition Manual: A Summary of Facts and Figures Dealing with Prohibition, National Wholesale Liquor Dealers’ Association of America, 75 p.; p. 20-21.
[35] Jenna Weissman Joselit, Our Gang: Jewish Crime and the N.Y. Jewish Community 1900-1940, Indiana University Press, 1983, 209 p.; p. 102.
[36] Lerner, Dry Manhattan, op. cit., p. 240.
[37] Full Text of the Wickersham Commission Report on Prohibition, United States. Wickersham Commission, Haldeman-Julius, 1931, 128 p.
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